Statue bouddhiste

La mort n’a jamais été considérée avec horreur chez les Japonais du moyen-âge, chez lesquels la doctrine bouddhique de l’impermanence de toute chose déterminait pour une grande part leur manière d’envisager la vie et la mort. Dans l’esprit de Shintô, la mort n’est pas redoutable, elle est plutôt gênante pour ceux qui restent.

Mais le défunt, lui, se rend dans un au-delà assez vague, une sorte de pays de la mort : le Yomi-no-kuni. Devenu esprit ou Kami, il s’intègre à la nature, veillant avec plus ou moins de bienveillance sur les vivants, selon que ceux-ci les vénèrent ou non. Les Japonais étaient donc assez familiarisés avec l’idée de mort, considérée comme un destin universel qu’ils savaient ne pouvoir éviter et qui, dans le fond, était conforme à la loi naturelle.

La rivière Sanzu

Chez le guerrier habitué à regarder la mort en face, il n’y avait pas non plus de place pour la peur. Mourir, en fin de compte, n’était qu’un moyen de renaître dans une vie meilleure. On peut lire dans un ancien texte bouddhique les dispositions à prendre lors d’un décès : « Laver le corps à l’eau chaude, le vêtir de coton et le placer dans un cercueil doré, l’asperger de parfum, le couvrir d’aromates, le brûler dans un feu et réunir les os dans une tour (une sort de reliquaire) ».

On enterrait ou brûlait avec le corps des vêtements et des objets auxquels le défunt avait été attaché de son vivant et, afin qu’il puisse payer son passage sur la rivière Sanzu qui sépare cette terre du paradis d’Amida, on plaçait à côté de lui quelques pièces de monnaie, ainsi que des sandales de paille et un bâton, nécessaires à son long voyage dans l’Au-delà.

La nuit avant les funérailles, la coutume voulait que parents et amis se réunissent pour une veillée funéraire. Parfois, un religieux bouddhiste venait réciter des sûtras. Les participants aux funérailles apportaient des présents à la famille en deuil : fleurs, pièces de monnaie, riz. La famille leur servait un repas sans viande, ni poisson.

C’est à partir du XIVe siècle que la coutume s’établit de donner au défunt un nom posthume ou Kaimyô. On écrivait ce nom sur une tablette verticale qui prenait place sur le petit autel bouddhique de la famille. Une fois le défunt enterré, il fallait veiller sur la tombe, car dans les campagnes chiens et bêtes sauvages venaient souvent la nuit déterrer les cadavres.

Tombe japonaise

Lorsque la famille avait les moyens, elle érigeait sur la tombe un petit monument commémoratif, soit un simple tas de pierres, soit un Gorintô, pagodon symbolisant les cinq éléments (terre, eau, feu, air et ciel) et l’esprit, et enfin déposaient des aliments destinés aux Gaki (esprits affamés) pour les retenir au cimetière et les empêcher de revenir troubler les vivants dans leur maison.

Les veuves qui n’avaient pas l’intention de se remarier coupaient leurs longs cheveux en signe de renoncement aux plaisirs de la vie. Mais dans le cas d’un veuvage prématuré, les femmes du peuple avaient coutume de se remarier quelques mois plus tard. Chaque année, à partir du treizième jour du septième mois, et pendant trois jours, était célébrée la fête des âmes : « Urabon-e ». Ces jours-là, les travaux domestiques cessaient ; on évitait même de faire à manger.

Cette période était l’occasion de grandes réjouissances et de vacances. On tirait des feux d’artifice dans les cours des temples et sur les places des villages, et dans les villes, on allumait des grands feux autour desquels on dansait toute la nuit. Ainsi, les disparus étaient fêtés et leurs âmes ayant atteint le stade de la félicité, pouvaient désormais protéger ceux qu’ils avaient chéris.

Arbre japonais

Les défunts devenaient alors des Kamis protecteurs ; des offrandes leur étaient faites chaque matin sous l’espèce de saké ou de riz. Le deuil était en général observé durant les 49 premiers jours après le décès, les Japonais croyant que l’âme du défunt ne quittait la maison où il avait vécu qu’à la fin de cette période.

Aujourd’hui encore, la mort au Japon est considérée comme une renaissance et non comme une fin, les rites évoqués ci-dessus sont, pour la plupart, encore pratiqués (dans une version allégée)… Mais on conserve les symboliques, comme déposer de la nourriture pour le défunt et se faire asperger de sel lorsqu’on rentre dans la maison de celui-ci.

Sayônara !

Source : "La vie quotidienne au temps des samouraï, 1185-1603", de Louis FRÉDÉRIC